samedi 19 mars 2011

Le Dernier Client - Episode 2

(Résumé des épisodes précédents  : Et puis quoi encore ? C'est pas Santa Barbara !
Pour se rafraichir la mémoire, l'épisode 1 est là !)

Enfin, faut que je vous parle de mon client quand même, c’est bien pour ça que vous êtes venu me trouver, non ? Alors je vais vous en parler.

Ce soir là, comme à peu près le reste des six autres soirs de la semaine, on était deux. Moi derrière le zinc, et le vieux Ben, sur un tabouret, pas tout à fait en face de moi. On était presque trois à dire vrai tellement le nez couperosé de Ben a du caractère et du répondant. Il était là, au milieu de sa figure, trempant allégrement dans son Four Roses...pas le meilleur Bourbon qui soit, mais largement de quoi oublier le réel en peu de temps. Drogue légale, belle couleur ambrée.


Il se met jamais en face de moi, Ben, jamais compris pourquoi. Toujours sur le coté, comme si il voulait laisser la meilleure place à d’éventuels clients qui se serait ramené à l’improviste, à la dernière minute, genre une équipe de foot venant fêter une victoire ou je ne sais quoi. Je l’ai souvent fait ce rêve idiot. Voyez, je suis à un âge ou c’est plus quelques nibards siliconés qui me font rêver, juste de voir encore une fois ma salle pleine à craquer de bois sans soif. On a les fantasmes qu’on peut. 
La dernière fois que mon rade a été rempli, c’était pour un mariage de bikers. Notez qu’ils avaient pas franchement fait de réservation. Ils sont venus comme ils font toujours, ils ont débarqués à bien soixante tarés, ont viré manu militari les quelques gars de passage et se sont installés en brayant et en chantant. Ils avaient kidnappé un pasteur à Okmulgee et maintenant, ils étaient chez moi et demandaient à ce que le pauvre gars ,complètement traumatisé, célèbre un mariage entre un grand balaise plus tatoué que ma frangine et une jeunette qu’aurait même pas été considérée majeure dans un pays du Moyen-Orient. Son daron à la gamine, il était de la haute, évidemment. On était en plein remake de Roméo et Juliette version Hunter Thompson, voyez le genre ? Bref, il avait fini par débarquer avec l’intégrale des flics du comté. Avant que ça tourne à la guerre civile, et sous la menace de foutre le feu aux motos, les mecs avaient cédés et avaient été priés d’aller se faire voir ailleurs en échange de l’impunité pour ce coup là, et le père avaient pu récupérer sa gamine avant qu’elle tourne mauvais genre définitivement. Mais bon, avant que la police débarque, ils avaient eu le temps de vider tous mes stocks, et ces gars là payaient. Ils cassaient tout, alors ça mangeait une part de bénéfice, parce qu’en général ils avaient pas des responsabilités civile pour les dommages au tiers et les bris de chaise et de table, mais ils payaient la bibine et ils laissaient même des pourliches en échange de quelques mains au cul des serveuses. Ils avaient du savoir vivre, quoi...

Drôles de mecs, violents, alcooliques, nerveux mais un vrai sens de la fraternité qu'on retrouve quasiment qu'à l'armée. Les autres pouvaient bien crevés, et la plupart du temps avec leur aide d’ailleurs, mais si vous vendiez de l’alcool ou si vous teniez un bordel, ils vous tenaient en haute estime. Je me demande si ces mecs là sont encore en vie de nos jours. Ils sont mieux taillés pour la survie que nous finalement.

Ça faisait longtemps que dans mon bar, on n'entendait plus les rires ou les engueulades de soiffards. Alors on faisait la conversation avec Ben. Surtout moi, enfin…y’a que moi qui parle en fait. Vu que Ben, il a trois phrases dans son vocabulaire. Une pour dire « t’as bien raison » une autre pour dire « tu m’en remets encore un » et la dernière, celle que j’aime le moins, pour dire « je te paierai demain » mais avec Ben, y’a que des demain, un vrai visiteur du futur. De toute façon, il est fauché comme les blés d’il y a trois saisons. Je finance son alcoolisme avec les restes de ma pension militaire. Comme quoi, c’est toujours utile d’aller se battre pour son pays surtout quand ça se passe dans un autre. L’état m’octroie généreusement 87 $ dollars par semaine pour être aller me cramer le cul en Afgha tirer la barbe à quelques intégristes. Notez qu’il y a pas plus patriote que moi, mais ces connards de Washington, ils l’ont pas vu venir la dernière et celle-ci, elle s’est passée directement chez nous et le pire, c’est quand on n’a même pas reçu de cartons d’invitation. Ça nous est tombé sur le râble comme une chaude-pisse sur une jeune recrue.

Alors ce soir là, alors que j’étais en train de parler encore une fois de mon ex-femme, ou de sa fille dont je suis plus très sûr d’être le père, ou de ma vieille Buick Indy 76 (une merveille), ou de l’histoire de mon tatouage en forme de tigre sur l’omoplate, ou de la fois ou j’avais cassé en deux mon plateau repas sur la tête du maton au pénitencier fédéral mais j’étais jeune ou alors c’était dans une autre vie, ou peut être bien que celle là, c’était pas moi et qu’on me l’avait raconté mais je savais que Ben irait pas vérifier, alors j’ai été étonné que mon Ben, au lieu de me sortir son traditionnel « t’as bien raison » lève le nez de dessous sa casquette John Deere et me balance un « Nettoie un deuxième verre, Otto, t’as un nouveau client ».

J’ai eu l’air con, juste l’espace d’un moment parce que c’est quand même pas un état stationnaire chez moi, contrairement à d’autres. Mais effectivement, il y a un gars qui venait de franchir la porte du bar, la clochette venait de sonner, et c’était pas Ben puisqu’il était déjà là.

Comme c’était pas un truc habituel mais que je voulais pas non plus faire le mort de faim, j’ai une dignité, ni faillir à la réputation d'impolitesse des tenanciers de bistrots américains, j’ai pris sur moi de pas saluer le bonhomme, de manière à ce qu’il comprenne que je n’avais pas un besoin absolu du contenu de son portefeuille. C’était du bluff bien sûr, j’en avais un besoin vital...

A suivre...

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