mercredi 23 mars 2011

Le Dernier Client - Episode 3

La suite des aventures des gars du OFL...pour les épisodes précédents, ben, ils précèdent.

Le gars est resté un moment à la porte. Sans bouger. Au début, j’ai cru qu’il attendait des potes mais personne ne se radinait à la suite. Pour tout dire, la première impression qu’il m’a faite de loin est qu’il avait déjà eu sa dose, vu comment, même en mettant pas un pied devant l’autre, il arrivait pourtant à tituber. Il était vouté, ses bras tombant mollement de ses épaules, et il avait la bouche grande ouverte. Je me suis dit qu'il n’allait pas beaucoup biberonner avant de tomber raide derrière le zinc. Je détestais ce genre de client. Pas beaucoup de rentrée dans le tiroir-caisse et beaucoup d’emmerdes à gérer après. Faudrait éviter que le gars ne se gerbe dans les bronches, le fouiller en essayant de pas tomber sur une seringue, de la pisse ou pire, trouver un numéro, un contact, une âme charitable dans son carnet d’adresse qui viendrait le chercher pour le ramener chez lui…

Si je me contentais de le sortir, et qu’il lui arrivait quoi que ce soit, ça pouvait me retomber dessus, juridiquement parlant. J’avais des collègues de la profession qui avaient eu ce genre d’aventures déplaisantes. Un coup à faire boucler le bar le temps de l'inévitable enquête administrative, le passage des services d'hygiène, tout le tralala. Personne avait besoin de ce genre d’emmerdes, surtout par les temps qui couraient.

J’aurais pu appeler les flics aussi mais ces putains de publicités vivantes pour dunkindonuts ne se déplaçaient plus trop pour les poivrots. Du reste, visiblement, ils avaient beaucoup d’emmerde à gérer en ville ces derniers temps. Je savais pas trop pourquoi à l’époque mais ils avaient été appelé en renfort, tous les bleus du comté, pour mater des « troubles à l’ordre public » à Tulsa, c'est ce qu'on entendait dans les rares conversations intelligibles du coin. Visiblement, il se tramait en ville une espèce d'émeute dans le genre South central mais à la bonne vieille façon Oklahoma avec les chevaux et les bang bang des cow-boy et des marshalls par dessus. Enfin c'est comme ça que je me l'imaginais. Avec tous les transporteurs de bétail qui passaient dans le coin dans le temps, on se refait vite toute la collection des films du genre.

Bref, je savais que c'était le bordel en ville parce qu’on voyait plus les gyro passer à toute berzingue depuis un bail déjà. Comme s'ils étaient tous aimanté par un gros truc là-bas. La télé en avait causé pas mal aussi, faut dire. Je laissais toujours une télé allumée au dessus du bar, ça occupait un peu l’espace sonore, ça me rappelait le temps où on s’entendait même plus pisser tellement c’était plein de clients. Appelez ça de la nostalgie. Moi je la regardais pas, la téloche. D'une je lui tournais le dos, et de deux, ça me tapait sur le système mais y’avait toujours des amateurs de baseball ou de foot et toujours assez de chaînes pour passer du sport. Y'a une formule romaine pour ça, du pain et des jeux. Moi, je m'occupais de ce qui rentrait dans la bouche, et pour les jeux, y'avait le billard et la télé.

Enfin, du peu que j’écoutais du coin de l’oreille, ça causait plus trop de sport ces derniers temps, je me demande même s'il y avait pas eu une interruption du championnat de soft-ball suite à un truc bizarre dans un stade, un mouvement de foule à la con.

Un soir, un type en costard, un client du genre pas habituel, et l'air très agité, s'était précipité au zinc, et avait demandé à ce qu'on change de chaine, pour passer sur le canal des infos. A dire vrai, comme le type avait l'air passablement angoissé, ça a un peu interloqué tout le monde et du coup personne a pensé à lui jouer le numéro du local hargneux à la bouche tordue : "On aime pas trop les pieds-tendres dans vot' genre par ici". Alors on a zappé sans faire d'histoire, et on a tous écouté la télé. Visiblement c’était le bazar en ville, et c’était une succession de flash spéciaux à longueur d'antenne. Emeutes, guerres de gang vraisemblablement, des histoires de tarés qui se mettaient à attaquer tout le monde, y'a même une journaliste a gros lolos et un peu trop téméraire qui s'était fait agresser en direct, et qui avait gueulé "il m'a mordu, il m'a mordu !". Je me souviens avoir dit qu'il fallait vraiment que les gars soient mort de faim pour se mettre à bouffer de la viande siliconée. Mais personne ne s'était marré.

Ça avait vraiment l'air d'être le foutoir et ça faisait peur à tout le monde. Mais moi je m’en foutais de ces conneries. Ici, on était assez loin du centre et même des faubourgs. On était sur une route secondaire et y'avait pas grand-chose à faire à trente miles à la ronde à part venir poser son cul sur un de mes tabourets pour s’enfiler quelques bud. Si émeutiers il y avait, je me disais qu'il leur faudrait vraiment être dans une sacré rogne pour venir mettre le feu au désert qui entourait mon bistrot. Ça me fait chier aujourd'hui d'admettre que j'avais raison, concernant la rogne.

Et puis d’un coup plus rien. La télé, elle a fermée sa gueule, je sais pas si c’est l’antenne ou mon poste qui s’est mis à déconner ou les chaines qui ont cessé d’émettre mais ça a été la mire sur toutes les chaines, et puis après la mire, la neige, alors j’ai fini par l’éteindre pour de bon.

Ça a commencé à être très calme à partir de ce moment là. Y’avait de moins en moins de circulation au dehors. Les habitués venaient de moins en moins jusqu'à plus du tout. A part Ben, mais il n'habite pas loin, il a un mobilehome sur le parking derrière l’ancienne station service à quelques miles vers l’ouest. C'est mon voisin.

Enfin bref, pour vous dire à quel point c’était mort, ça faisait bien dix jours que j’avais pas vu un gars passer cette fichue porte, et ça commençait sincèrement à m’inquiéter. Surtout que j'étais bientôt à court de ravitaillement et que personne semblait vouloir se pointer pour me livrer ni en boisson ni en bouffe. Ce qui signifiait qu'il faudrait sans doute que j'aille tôt ou tard faire un tour en ville pour voir ce qu'il s'y passait. Et, je ne sais pas pourquoi, mais l'idée ne me plaisait pas des masses. Alors voir enfin une tête autre que celle de Ben, ça m’a fait plaisir. Je me suis dis qu’on revenait un peu à la normale et peut être bien que les affaires allaient reprendre après tout.

Mais ce gars, il nous a vite fait comprendre qu'il n'était pas exactement le client modèle. Il était là, à une quinzaine de mètres de nous, et il n'avançait pas. Il restait comme un con, l'air hagard, yeux dans le vide, à dodeliner mollement de la tête. Au bout d’un moment j’ai dit : « Oh, c’est ici que ça se passe. Si vous voulez boire un coup, faut venir au bar, j’ai plus de personnel pour le service en salle. »

Nib. Aucune réaction.

Le gars, soit il était sourd soit c’était un cintré de première. Ben, il a commencé à se marrer. Ça faisait très longtemps que je l’avais pas entendu rire. « Il en tient une belle, celui-là. Ton client a déjà été servi, on dirait, Otto. » Je lui ai dit de la fermer et puis j’ai commencé à gueuler au mec que mon bistrot, c’était pas un putain de musée, que les bouteilles derrière moi, c’était pas pour la déco et que s'il ne consommait pas vite fait, il allait gentiment sortir, même qu'on l'aiderait à coup de pompe dans le cul si besoin.

Et là, d’un coup, le type a tourné sa tête vers nous, on l'a enfin vu de face. Et là, j’aime autant vous le dire, bien qu'à la vérité, j'aurais aimé ne pas avoir à vous le dire, mais ça nous a fait bizarre à Ben et à moi parce que c’est là qu’on a vu que le mec, il avait la caboche à moitié défoncé sur tout un coté et il lui manquait la moitié de la mâchoire. On lui avait arrachée.

Et c'était tout frais.

A suivre...

5 commentaires:

  1. Je suis accroc !! La suite ! La suite !

    Sonia.

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  2. Yes ! quelle ambiance... allez, hop, la suite !

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  3. c'est du très très bon.
    publie des suites, sans t'arrêter.

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  4. J'ai pas le choix, je continue, j'ai pas encore trouvé la fin de l'histoire ! =D

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  5. On peut t'aider pour la fin ?

    Il se maria (Pacôme) et eut beaucoup d'enfants (Fan la Tulipe).
    Il prit du recul et alors, comment veux-tu, comment veux-tu que je...
    C'était l'année ou jamais. Il accrocha donc la Ligue des Champions.
    Et dans un râle, il suffoqua : "mon assassin est.... aaaaahhh".
    Et il mourut.
    Et il survécut, et se remit du rouge à lèvres.

    Sonia.

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