jeudi 1 décembre 2011

Punch Coco (2ème partie)

Now the dream is gone
And your life tell you lies
Then you realise
You're gonna die anyway
- Therapy?

Depuis l’autre bout de la petite maison de banlieue, une voix s’élève de la cuisine pour dire qu’elle n’est pas d’accord. Pfff. Mais qu’est ce qu’elle peuvent y comprendre les femmes, il dit à son fils, d'abord ? Hein ?

Mais qu’est ce qu’ils peuvent y comprendre les hommes aussi ? Quel cerveau peut bien comprendre un manège aussi violent, un truc idiot comme ça, un truc de malades, de tarés qui passent leurs soirées à s'éclater ainsi la tête à coup de poing chaque jour que Dieu aurait mieux fait de rester coucher. Truc de con, va. Putain de loisir.
Qu'y a t'il à comprendre à ce qui vient de là, des tripes. Ce jeu barbare venu du fond des âges, tout à la foi art martial, parade nuptiale, affirmation du chef de meute, rituel pour imposer sa domination au groupe...

La raison du plus fort, l’oraison du plus mort.

C’est animal ! C’est écrit en l’homme au plus profond de ses gênes, du temps ou c’était une question de survie. Alors pourquoi vouloir mettre des mots, de la raison sur ce qui n'est rien qu'un instinct, qu'une pulsion qui ravale l’homme au rang de la bête, celle qui a peur de sa propre ombre au point de vouloir la mordre.

Tout ça c’était bien, au temps où le monde était simple, où il y avait les forts et les faibles. Et où valait mieux se tenir du côté de ceux qui avaient des bras capable de propulser une pointe assez fort pour transpercer un buffle en plein course. C’était simple, oui, facile à comprendre. Manger ou être manger. Pour faire figure d'intellectuel à cette époque, suffisait en général d'être capable d'enfiler son slip dans le bon sens. Mais un jour sont venus les petits malins, les politiciens, les banquiers, les assureurs, les agents, les producteurs, les usuriers, toutes ces sales bêtes dont le travail indigne consistait à vivre de la sueur des autres. Ils sont venus, et ça a été la fin de l’univers des braves. Le monde a sincèrement commencé à se compliquer depuis ce jour-là. Et les costauds sans cervelle ont commencé à s’y sentir un peu seul.

A une époque où la force physique était l’apanage des grands, ou elle était à la fois philosophie et art de vivre, science et raison, elle est devenu une tare, le trait de caractère des rustres et des idiots incapables de s’exprimer autrement qu’en bandant les muscles. Relique noble d’une époque sauvage et révolue, décadence infernale.

Le petit, lui, Ô lui, il fera des merveilles. Il est le dernier de l'ancien monde, et il reste encore en lui la noblesse des grands de cette époque bénie. Alors il montera sur le ring et il sera plus grand et beau que son père, au moins jusqu’au milieu du 3ème round, après, ben faut juste se souvenir de la gueule qu’on avait au début du combat.

Trois ans plus tard, parce que c’est comme ça, parce que le temps passe et qu’on n’y peut rien, qu’on a nulle part ou taper pour dire que c’est injuste. Alors on ronge son frein, on ronge son poing, on l’émousse dans la gueule du vent en lui distribuant des directs en veux-tu en voilà. Le petit, il a commencé l’entrainement et c’est rude parce que le père même s’il a plus la souplesse de ces vingt berges, il a encore le cœur d’un éléphant, du coffre et de la poigne. Alors le petit, il déguste, il ne mange pas que des mets divins. Tous les jours dans les cordes, le père lui apprend les ficelles, et le fil rouge, celui qui lui coule du pif parfois. Souvent. « Garde ton bras haut si tu veux pas pisser du tarbouif, prendre des coups c’est rien, t’en que t’en donnes toujours un de plus que celui d’en face ». Les leçons rentrent bien, droite, gauche, uppercut, ça rentre même plus qu’il n’en faut. L’amour prend des chemins étranges parfois. Et plus le père cogne le fils, moins il l’aime. Peut-être parce que ces espoirs ne sont pas si fondés, qu’il s’en rend compte et que ça le met en rogne. Pourtant le niño il donne le meilleur de lui, c’est-à-dire le pire, la colère qui décuple, la rage, la haine qui fait gagner les centimètres qui manquent pour toucher le menton, les paumettes ou le foie.

Mais ce n’est pas suffisant. Soigne ton jab, soigne ta gueule, fils de con, t’es pas le fils d’un tocard alors tu te couches pas. Ou je me trompe ? Mais inlassablement le petit se couche, parce qu’il a beau faire, il ne reste qu’un fils de, qu’un ersatz, y’a même pas d’air de famille, le petit est malingre, il n’a pas d’appétit. Le père tonitrue, braille, gronde comme le feu qui jaillit parfois de la terre et ça donne les volcans. Le père, c’est ça, un volcan et avec sa nuée ardente de poings qui dévalent de ses bras, c’est Pompéi tous les jours pour junior.

Quatre cinq six sept, violettes, violettes les paumettes. Sept ans dans les dents. C’est fou ce que le temps passe quand on voudrait qu’il s’arrête. La croissance osseuse étant ce qu’elle est, le petit a fini par devenir grand, parce que c’est vraisemblablement dans l’ordre des choses. Et quand on dit grand, c’est pas qu’une catachrèse. Il est devenu costaud mais à la manière de ceux qui sont pas nés pour ça. Engraissé, dopé aux hormones de cheval, condamné à lever son poids en fonte des milliers de fois par jour, il porte maintenant son corps comme la pietà du Vatican porte celui de son fils. Il subit son être. Le père n’est plus. Non pas qu’il soit mort, c’est juste que maintenant, y’a plus rien de paternel dans leur relation. C’est du management de compétence, une relation strictement professionnelle. L’amour pour son fils est mort en même temps que la mère. C’était leur trait d’union. Elle est morte, c’est comme ça. Du chagrin ou d’une maladie, ça revient au même. Peut-être que le fils de était pas le fils de, justement et que peut être que dans un jour où il était moins con que les autres, le père l’a touché du doigt, ça, et puis l’a touché des poings, lui, plus que de coutume pour que quelqu’un paye pour l’outrage et c’était que le petit qu’il avait sous la main à ce moment.

Alors la note a été salée et le paiement s’étale depuis lors. On ne vit pas, on meurt à crédit. C’est peut être bien le fils d’un tocard après tout, qui sait, mais pas le sien, c’est sûr. Alors l’amour il est allé reposer avec la mère plusieurs mètres sous terre. Et comme funérailles, on allait promettre au fils batârd la gloire de son père, et ce qu’il gagnerait, il ne l’emporterait pas au paradis, puisque c’est en enfer que le père venait de lui reserver une place. Au premier rang.

Les combats se succède et le fils ne peut jamais rivaliser ni avec son modèle, ni avec ceux qui se dresse face à lui. Il manque de tout, de rythme, de souffle, de puissance, d’impact, de poids. Il concourt toujours dans la catégorie du dessous, et dans les secondes d’après. En retard sur son temps. S’il gagne c’est par erreur, par accident, par facilité, ou quand la rage se mut en fureur guerrière désespérée, en baroud d’honneur. Plus il perd et plus la haine du père s’exprime à l’entrainement.

C’est pourtant un perdant magnifique, rare, parce que ce perdant-là, toujours remonte sur sa scène pour rejouer sans cesse chaque soir sa passion, la chorégraphie funeste de son anéantissement personnel.

Son paternel se voit refuser à chaque fois le plaisir mesquin de voir son fils jeter les gants. Car jamais le petit ne renonce à affronter son destin et toujours il monte sur le ring en souriant à son père. Et quand il tombe, il sourit encore. Cela lui a valu un surnom. Le fils du kid est devenu la Joconde. Jamais le père ne réussit à lui faire ravaler ce sourire impie, ce sourire d’amour inconditionnel. Le kid de Winchester finit par mourir, rempli de haine et de dégout, sans un mot pour celui qui avait été autrefois son fils aimé.

La mort, ce n’est pas la fin du monde. On tourne en huit et tout recommence à l’autre bout de la boucle. Alors le petit continue de boxer. Et il n’est plus le petit puisque le grand est mort. La boxe, c’est devenu sa vie à part entière. Ce n’est pas un gagnant mais il aura au moins appris à encaisser, alors il encaisse et s’en tire pas si mal, c’est-à-dire qu’il arrive à en vivre. Il a du métier. Mais ça suffit pas pour faire une longue carrière et se mettre à l'abri. A huit, son temps est venu, le choix doit être fait entre se relever ou se coucher à jamais.

Il essaye. Il tente de contracter ses muscles. Rien ne vient. Panique. Il ne « sait » plus comment faire. Son corps ne répond plus. Il voudrait bien se relever, vrai de vrai, il aimerait bien. Ce n’est pas la première fois qu’il temporise, qu’il se laisse tomber au sol et flirte avec le comptage digital de l’arbitre. Ça permet de gagner de précieuses millisecondes de répit. On s'accroche toujours à ça, le temps s'écoule différement, comme du sable qui coule entre les doigts sur la plage. On pourrait presque le toucher ce temps là. On pourrait presque le serrer dans ces doigts tellement forts que peut etre on arriverait à l'arreter pour toujours. Sauf qu'on essaye mais que là, les doigts ne bougent pas, les commandes ne répondent plus. Un sillon de glace lui parcourt le dos. C'est comme ça que ça doit se finir. Le connard a touché juste. Désespérément juste, ou trop injuste. Il se pourrait bien que la boxe se soit fini pour lui, et pour toujours.

Du sang s’écoule de son oreille, pas ce vieux sang caillé ordinaire, qui sent la rouille et qui coule normalement dans la bouche et dans le nez. C'est un sang nouveau, un sang neuf. D’ordinaire, ça suinte par le pif, les paumettes ou les paupières. Par les oreilles, par tradition on s’y refuse, on a une dignité quand même. Merde, c’est pas légal ! Mais obstinément le plasma lui coule dans le cou, parce que le sang c'est dans sa nature de fluide de foutre le camp dès qu'on lui en donne l'occase et d'aller faire des flaques au sol, va savoir pourquoi, il veut retourner à la terre-mêre. Une connerie du genre. C’est tiède et poisseux sur sa peau, ça lui rappelle les larmes de sa mère quand elle le prenait dans ses bras, tout môme. Il comprend un peu mieux pourquoi elle pleurait tout le temps au lieu de rire. Peut-être bien qu’elle avait compris que tout finirait comme ça, fatalement, qu’on n’échappe pas à sa destinée et qu’un fils illégitime méritait de mourir comme un batard, abattu par un chasseur en maraude. C’est pas glorieux, c’est juste une histoire, la sienne. C’est comme ça que ça doit se finir.

Les yeux grands ouverts sur le monde, il pense à son père une dernière fois, aussi à celui qu’il n’a pas connu. Il pense à sa mère. Il pense à Pam et le temps se fige alors pour l’éternité. Il cesse de sourire. Quelque part, loin, très loin, une bulle de gaz remonte un vaisseau. Dans un embranchement de tubes organiques, elle s’engouffre dans la section la plus rétrécie, pour finir quelques centimètres plus loin son morbide voyage en bloquant de toute sa surface la section étroite d’un banal capillaire dont la mission principale est d’alimenter en plasma frais le siège du fonctionnement cérébral d’un des ventricules du cœur. Le sang ne peut plus circuler. Quelques temps plus tard son cœur s’arrête. Pour toujours.

Dix.

C’est comme ça que ça doit se finir.



3 commentaires:

  1. Pauvre petit Faman abandonné de tout son lectorat...
    J'en écrase une larme d'émotion sur mon clavier, tiens.
    Bon, écoute, je vais aller finir mon Big Mac, regarder un épisode de la dernière saison de Breaking Bad, finir le dernier Frédéric Lenoir et si t'arrêtes de faire les chouineuses, je viendrai peut-être ensuite lire la fin de ta nouvelle. Promis mon petit chat !

    Sonia.

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