dimanche 27 novembre 2011

Punch Coco (1ère partie)

Win with class, lose with style.
- Anonymous.

Il tombe à terre, un semi-remorque fou vraisemblablement piloté par un cosaque ivre, ou alors un super tanker chargé d’une cargaison complète de lingots de plomb, douze à la dizaine, ou alors n’importe quoi de gros, de lourd, et qui fait mal, genre les allemands, vient de finir sa course dans sa fosse nasale.

Dans l’océan de souffrance qui le submerge, il laisse derrière-lui un sillage de sang, tracé par un paquebot avec un capitaine au nom court, Nemo ou Nelson, quelque chose du genre. Quitte à choisir il aurait préféré fourrer son pif dans les nichons de Pam, plutôt que dans la droite lestée d’un connard. Pas qu’ils sont plus tendres mais au moins leur cuir sent bon. Le gant du connard, il pue. La sueur, le talc bas de gamme et le musc de la peau tannée d’un pauvre bovidé qui a du brouter l’herbe d’un champ qui depuis longtemps déjà est devenu un parking.
Le sol du ring monte vers lui à la vitesse d’un cheval au garrot, qui cavalerait pour aller se faire pendre ailleurs. C’est jamais bon signe quand le sol se tient à la verticale face à vous et tente de vous embrasser.

Sa gueule tuméfiée réceptionne avec mollesse la toile crayeuse du ring. Mais il s’en fout, il n’est déjà plus là ou pas encore tout à fait là, à bien y réfléchir. En fait, il est à côté du ring, quinze ans plus tôt, et c’est son père qui prend les marrons à sa place. Et tout autour, ça gueule et ça pue la misère crasse et le whisky bon marché des ouvriers de provinces qui viennent au sporting palace dépenser l’argent durement gagné de la semaine. Le Sporting n’a de palace que le nom. C’est pas un endroit pour les princesses. L’atmosphère y est si saturée en testostérone que ma tante en ressortirait en s’appelant mon oncle et mon oncle n’en sortirait sans doute pas avant l’heure de fermeture. Le sporting, c’est la maîtresse la plus haïe de ces dames. Parce que le peu qu’ils n’ont pas bu, tous ces damnés de la terre, ni dépensé aux courses de chevaux, ni aux putes, ils vont le parier, allez savoir pourquoi, sur des types à la carrure de déménageur qui s’occupent à se coller des gnons. Tu parles d'un loisir. Ils viennent pour le spectacle, ils restent pour l’éventuelle probabilité que leur poulain tienne debout un round de plus que celui d’en face et que ça leur assure un revenu leur permettant de se payer de quoi fêter ça au mieux, d’oublier ça au pire.

Et tous, ils attendent et ils espèrent le gros coup. Celui qui les fera enfin lever l’ancre de ce trou à rat, de se barrer, loin, avec ou sans Cindy, avec ou sans la fille de la voisine, avec ou sans leurs gosses illégitimes et de refaire leur vie, à Singapour, à Acapulco, à Sidi Bel Abbès, à Los Angeles, peu importe, un de ces bleds dont le nom à lui seul apporte ce parfum d’exotisme dont ils rêvent sans fin depuis le jour où ils ont dégoupillé leur première canette d’ananas en boite. Le rêve amouricain…

Tout ça finit trop souvent par un réveil brutal dans une de ces salles obscures qui parsèment le pays, les pays, n’importe quel pays. Ce n’est pas du cinéma mais chacun vient y jouer à sa façon la scène une du film de leur fin de vie et qu’on pourrait sobrement intituler plus dure sera la chute. Et souvent ça commence par la scène où on vient de perdre la mise. Le poulain s’est couché, on se prend la tête à deux mains. On a tout perdu, tout. Faillite.

Prise une, moteur, Une ! Vision subjective. Uuuune ! Un type vient de gueuler pas loin d’un des choux fleurs qui orne les coté de sa tête. Une bonne occase de se rappeler le passé. Alors voilà, son père, c’est un gars comme ça, il boxe, c’est pas un étalon, c’est pas un champion, c’est pas Sugar Ray ou Bob Fitzsimmons, mais c’est pas un tocard. Il a eu son temps, son époque, son heure, ses heurts.

C’est pas un bleu, son père, c’est lui qui les distribue. On pourrait dire que c’est sa marque de fabrique, un fer à cheval dans chaque gant, des réflexes à flanquer la frousse à un lynx paranoïaque qui en serait à son 3ème café du matin, et un jeu de jambe qui pousserait un petit rat de l’opéra à se bouffer la queue de jalousie.

Au début, il faisait ça gratuitement dans la tournée des bars du coin, suffisait juste de parler plus haut que la moyenne des gens qui feraient mieux de fermer leur gueule et Victor se mettait à mettre les poings sur les i, les o, les a et même sur les lettres muettes pour peu qu’elles se mettent à lui mimer des gestes obscènes.

Descendant d’une longue lignée d’anonymes qui avaient tracés leur voie à coup de poing dans toute la vieille Europe depuis la maison des Tsars, sa vie c’était fatalement l’amour des rixes, et ça a été comme ça jusqu’au jour où un petit type trop malin pour avoir l’idée stupide de se battre avec un colosse de foire, lui a proposé de lui donner un peu d’argent à chaque fois qu’il ferait la même chose mais sur une table carrée entourée de corde.

On n’était pas loin de Londres et c’était juste après-guerre. Il a dit « bon ». Il a dit « faut que je réfléchisse » mais probablement que c’était du bluff, et qu’il avait entendu la phrase dans un de ces feuilletons radiophoniques. Parce que réfléchir, ça avait jamais été autre chose qu’un objet de fantasme pour lui, rien de plus qu’une rumeur entre ces deux oreilles.

Alors il s’est entrainé, il s’est fait un nom. Le Kid de Winchester. Parce qu’il avait un peu une tête de gosse et qu’il était de Winchester. Dans le milieu, on aime les choses simples et carrées, facile à comprendre. Il s’est fait aussi une réputation et des tas de nanas un peu facile et pas trop regardante sur l’esthétique du visage. Il a fallu qu’une de celle-ci soit la mère du p’tit. C’est ce qu’elle a toujours dit en tout cas. Le gars était comme tous les grands costauds un peu con de ce monde, un putain de sentimental. Alors le gosse, il s’est dit qu’il pourrait être son père, comme dans les livres. Un père qui raconte des histoires à son gosse le soir pour l’endormir. Sauf que le père il ne savait pas lire et que les seules histoires qu’il connaissait, c’est celle qu’il écrivait en braille sur la gueule des autres tous les jeudi soir. Des poings partout, ça finit par avoir du sens, même pour ceux qui y voient encore. Des poings qui ponctuent bien les histoires de ceux qui se sont cru plus rusés que le paternel. Alors il amenait le p’tit au palace et de fils à suture en aiguille à recoudre les paupières, le p’tit il est devenu mordu du truc aussi. Ou alors c’est le « noble art », comme dise ces péteux de Français, qui l’a mordu et l’a plus jamais lâché, va savoir.

Deux dents ont sauté dans l’impact au tapis. Il y est bien là. Tout prend une autre allure quand vous êtes couché. Vous regardez les gens, la perception des distances n’est pas la même. Les sons non plus. Tout vient au ralenti. Les gens bougent au ralenti. Ses yeux se ferment lentement. Son père met bien dix bonnes secondes pour franchir le pas de la porte. Il a la gueule d’un type qui serait passé dans une machine d’imprimerie et à qui ensuite on aurait cassé la gueule à coup de poing. Il parle mais sa voix est tellement grave qu’on entend les mots tomber les uns contre les autres dans le larynx.

Il dit qu’il a perdu son premier combat, que c’est peut être bien le début de la fin. Et puis, il prend le petit dans les bras, il le fait tourner en riant de sa bouche gonflée et déformée, en disant que c’est pas si grave, que le plus beau des trophées c’est celui qu’il tient à bout de bras là maintenant et c’est beau parce que c’est la vérité. Et il lui dit que s’il raccroche, y’en aura un autre pour prendre la relève et défendre l’honneur de la famille et dans ces yeux, ce n’est pas un souhait qui brille, c’est un ordre. Dans la boxe, on croit en Dieu et en l’hérédité. Et comme les taureaux font pas plus des mulets que les chiens ne font des chats, on est autorisé à y croire encore plus qu’en Dieu. Alors il dit que le petit va faire un sacré gaillard avec des enclumes à la place des phalanges et ce sera bien et qu’ils n’ont qu’à bien se tenir les autres, mais les autres, on ne sait pas qui sait, juste des pauvres gars comme lui, comme eux, comme tous ceux-là, des obscurs aussi qu’on jamais que les bras ou les jambes pour se faire un nom. Essayez donc d’écrire votre patronyme avec les doigts enchâssés dans une paire de gant…


6 commentaires:

  1. Retour en force, si j'ose dire...

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  2. Ose, ose !
    Merci en tout cas. =)

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  3. ça fait partie de ces "1ere partie" qui nous allument et dont on ne voit jamais arriver la suite ?
    HEIN MONSIEUR LA PTITE ALLUMEUSE !!!

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  4. En fait je voulais commencer par l'épisode 4, mais en googlant un peu, j'ai vu qu'un sale goitreux avait déjà eu l'idée avant moi.

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  5. Tout cela me donne une envie folle de refaire mes séries d'abdos. (Non, je déconne).

    Sonia.

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  6. Commence mollo par des séries de 1 :o

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