vendredi 29 avril 2011

Vague alarme*

-T'as fait quoi aujourd'hui ?
- Rien.
- C'est dommage. C'est même con. Les vacances ça sert à faire ce que tu ne peux jamais faire quand tu es au boulot.
- A bosser donc ? Tu voudrais que je bosse pendant les vacances, c'est complètement idiot.
- Tu m'as compris.
- Non. Et puis j'ai pas envie de comprendre. J'ai pas envie de faire le moindre effort intellectuel aujourd'hui. Les esprits chagrins diront que ça ne change pas de l'ordinaire. Mais c'est vrai, je suis à plat. Vide, creux, flou, bègue, neurasthénique, dépressif, suicidaire, bougon, pas cadré sur la photo, on m'a pas amené le plat que j'avais commandé, j'ai un épi dans les cheveux, Je suis le seul à être sans relief dans Avatar, y'a plus ma pointure en réserve, et des gens répondent au téléphone pendant la séance, alors ça va pas. Si j'étais un chanteur de merde, je dirais comme ça que j'ai un caillou dans la chaussure de mon cœur.
- La chaussure de ton cœur... N'importe quoi. Ah oui, ça va vraiment pas bien, là.

- Licence poétique. Tu peux pas test.
- Mon pauvre, tu décrocherais pas un CAP poétique. Arrête donc un peu tes cordonneries, tu vas nous lacets. Tu devrais plutôt en profiter pour écrire pour ton blog, non ? Ça t'occuperait. 
- Mais pourquoi s'occuper ? On ne vit donc plus dans un pays libre ? Le droit de se faire chier est garanti par la Constitution. J'ai trop de respect pour les institutions pour gâcher mon temps d'ennui en activités récréatives, ludiques, émancipatrices et intéressantes.
- Moi, ce que j'en dis...
- Et puis aujourd'hui, je suis malheureux et triste alors je veux me faire chier. C'est un hommage. Voilà. Une dédicace de l'auteur à lui-même. Plutôt que de faire chier les autres avec mes écrits, je vais me pourrir moi-même avec ce que je n'écris pas, pour une fois.
- Pourquoi t'es malheureux ?
- Parce qu'il faut des justifications pour être malheureux maintenant ? Déjà qu'il faut un permis pour se faire chier si je te suis. Bientôt, faudra demander une autorisation en mairie pour chialer ?
-T'es de mauvaise foi.
- Oui, mais tes flatteries ne m'atteignent pas. Et puis sincèrement, il y a largement assez de raisons en ce bas monde pour être malheureux sans avoir besoin d'être précis. J'ai pas à donner d'explications. Ouvre n'importe quelle journal, le premier titre que tu y liras sera la cause de mon malheur. Ma main à couper le beurre que c'est une nouvelle à pleurer.
- Chiche ?
- Oui, vas-y.
- Bon, alors....Ah !Voilà, dis-je avec un grand sourire, "Inoubliable mariage de Kate et William". T'as vu les images ? Honnêtement, c'était magnifique. Très émouvant. Quand ils se sont dit oui, la voix tremblante de Kate...
- ... Je te paraissais pas assez déprimé, il a fallu que t'en rajoutes une couche. 
- Pardon ?
- Le bonheur des uns fait le malheur des autres, tu ne le savais pas ? Regarde donc ces deux là ce qu'ils jettent à la face du monde, quel message ils transmettent. Ils nous éclaboussent de leur joie, ils nous vomissent à la gueule leur bonheur ronflant, sirupeux et collant, confit de bons sentiments, suintant de mièvrerie, de flonflons et de petits angelots gavés et dodus qui nous rotent à la gueule des relents de gigot pascal piqué à l'ail. Ils sont heureux, oui, ils sont heureux et ils nous emmerdent, le message est clair, non ? Ils adressent un grand doigt d'honneur, avec le sourire qui plus est, à tous les laissés-pour-compte sentimentaux, les divorcés, les déçus, les veufs, les amoureux transis, les fleurs bleues, les romantiques dépressifs, les Dupont de Ligonnès, les nigauds, les petits gros à lunettes de toutes les cours de récré du monde entier, tout ceux qui ne connaîtront jamais le Grand Amour, tout ceux qui n'auront que l'espoir déçu et la frustration perpétuelle pour accompagner leurs ébats solitaires nocturnes.
C'est vrai qu'il y a de quoi s'ouvrir les veines au carambar d'un message universel pareil, de quoi tirer des feux d'artifices dans la pouponnière, de quoi changer l'eau lourde de Fukushima en cubitainer de Saint Emilion phosphorescent.
Le seul truc sur lequel ils auront mis toute la planète d'accord, pour une fois, c'est que chacun aura pu profiter de l'occasion pour se prendre une bonne vieille biture des familles (ou en solo pour les orphelins) et se mettre minable. Pour certains, parce qu'ils sont heureux de l'événement, les sots, pour d'autres, parce qu'ils veulent oublier qu'eux même ont fait un mariage foireux, ou qu'ils ne sont tout simplement pas mariés, ni même aimés et qu'aucune Kate Middleton ne les attend dans le creux d'un lit douillet et tiède pour jouer avec leur petit prince à dessine moi une carte d'Angleterre.
- Vu comme ça, c'est sûr...Moi qui pensais sottement que c'était une bonne nouvelle.
- Évite de penser, ça nous fera des vacances à tous les deux.
- Remarque, nager à contre courant de l'allégresse ambiante, c'est pas idiot. Je veux dire...en tant qu'auteur. Le spleen, c'est vendeur. Dans le genre artiste maudit, ça le fait plutôt pas mal de parler de son vague à l'âme.
- le spleen adoucissant, ouais. Mais moi, les corbeaux qui coassent sur fond de ciels bas de plafond, je les tire à la carabine, je les accroche aux volets pour les faire faisander. Et je les mange. Je suis pas un écorché vif, moi. Il m'arrive, à la rigueur, de peler un tout petit peu si je m'expose trop longtemps et même dans ces cas là, un peu de biaphyne et puis voilà.
- Tu guéris vite alors ? Tu vas pas rester malheureux ?
- Non, enfin...non je ne vais pas rester malheureux, mais non, je ne guéris pas pour autant. Je reste tout rayé, comme ces vieux 45 tours vinyles qu'on a trop bourré dans le mange-disque étant môme. Mais c'est marrant quand même, finalement, parce que ça saute dans la chanson et du coup ça fait des répétitions et des paroles étant môme qu'on a trop bourré dans le mange-disque, et du coup, ben finalement parfois, ça fait des trucs rigolos. Ça donne de la poésie, un peu. Faut souffrir pour être Rimbaud.
- Je vois, un genre de rayure à l'âme...
- Ouais, des bleus dans la carrosserie, un coup de clé sur la portière de ma vie parce que j'étais garé en double file sentimentale, devant une sortie de secours qui plus est, et le pire c'est que c'est moi le connard qui ai joué du trousseau.
- Ta vie me parait bien compliquée.
- Ben, quand tu vois que je suis déjà obligé de me parler à moi-même pour trouver un peu de réconfort...
- Comment ça, parler à toi même ?
- Ah oui, je t'ai pas dit...je savais pas vraiment à quel moment du texte aborder ça. Je pensais bien que tu le prendrais mal, mais voilà...tu n'existes pas, tu n'es qu'un autre moi-même, un moi inconscient incarné pour les besoins du présent texte. Une espèce de faire valoir à usage unique, le Sganarelle du Don Juan pitoyable que je suis.
- Quoi ? Mais c'est dégueulasse ! Tu peux pas faire ça.
- Techniquement, si, tu en es la preuve. Ce texte n'est pas vraiment un dialogue.
- C'est minable comme procédé.
- Disons que c'est classique, mais me cherche pas trop non plus, étant donné que je suis l'auteur, je peux m'amuser avec toi comme bon me semble, te faire pousser des poils sous les paupières, te faire parler en javanais.
- Ravidavicavule ! Avaravete ça, s'il t'ave plavait ! C'est stavupavide.
- Moui, et c'est pas très rigolo de toute façon.
- Hé, oublie pas les poils non plus, ça chatouille.
- Bon, on fait la paix ?
- C'est pas à moi qu'il faut demander ça. Moi, je suis toi, donc bon. Si je te tire la gueule, ça ne se verra que dans un miroir.
- Ce sera l'occasion de briser la glace.
- Tu vas finir pas perdre le peu de lecteur que tu as en abusant de jeux de mot aussi faibles.
- Oui, c'est vrai qu'il est terne, sans tain même, réflexion faite.
- Tu comptes t'en sortir en pratiquant ainsi l'humour au ras de la moquette ?
- Et William !
- Quoi ?
- Moquette et William, marrant non ?
- T'es pathétique.
- Chut, pense à William, c'est l'espoir William. Non mais sans rire ! Parvenir à séduire une meuf comme Kate en cumulant la tonsure à Zizou et le charisme d'une lamproie, en agrémentant le tout d'une tête à faire peur à une guillotine, oui, franchement, finalement, tu as raison. Cela ne peut que donner espoir et foi dans le Grand Amour à tous les mal dans leur peau de l'Univers. William, c'est un peu notre étendard, notre champion, celui de nous autres, les minables, qui a réussi, sentimentalement parlant.
- Sauf que Willy, il est prince héritier de la Couronne d'Angleterre, ça doit aider un tout petit peu pour pécho de la Barbie Cendrillon.
- Te voilà soudain bien cynique.
- Cynique ta mère !
- Ah, je l'ai pas vu venir celle-là...

*Les titres auxquels vous avez échappés :
- Rade mariée et Soun amie
- Un centime mental
- Gros flop à la river
- Les canelés bordelais, c'est trop bon ( pas de jeu de mot mais c'est vrai que c'est bon !)


6 commentaires:

  1. A propos de Kate, moi si Pippa pipe mot, je dis "Yes soeur !"

    RépondreSupprimer
  2. Très bonne réplique Walrus ^_^ Tellement bonne que je l'ai racontée au frère de William, le prince a ri.

    RépondreSupprimer
  3. ah ouais, t'étales la chaussure de ton coeur dans la presse à sandales.

    RépondreSupprimer
  4. "Il y a des chagrins dont on ne revient jamais".

    C'est tiré d'un roman que j'ai lu récemment et qui s'appelle La vie est brève et le désir sans fin.
    Ca te flingue, ça, non ?

    De rien :D

    Sonia.

    RépondreSupprimer
  5. Alors là Lainlain (pardon d'éventer ce ridicule surnom sur l'espace public) je suis vraiment scotchée...et je n'ai pas encore tout lu. Tant de talent et on l'ignorait. Évidement mes compliments seront jugés biaiseux et tendancieux ...donc j'en rajoute pas trop. Je me suis régalée à cette lecture à l'improviste. Réel Coup de coeur pour "il ne rentrera pas ce soir".
    Puis-je faire lire aux copines ?
    Bisous

    RépondreSupprimer
  6. C'est faux ! Je ne suis pas ce "lainlain" dont cette folle parle. Elle n'est même pas ma sœur, elle fabule !
    Elle peut faire lire aux copines mais quand même !

    RépondreSupprimer

C'est là qu'on laisse son petit commentaire, une seule règle : être poli. Oh pi non, on s'en fout !