vendredi 8 avril 2011

Le Dernier Client - The End

Ce fut long mais voilà enfin les dernières lignes de l'histoire. Comme vous avez été bien sages et encourageants, y'en a un peu plus à lire que d'habitude, ne me remerciez pas, c'est cadeau, ça fait plaisir.

Arrivé à ce point du débat, j’ai compris qu’il fallait qu’on se taille. J’ai agrippé Ben par le bras et on a couru vers la porte de derrière, direction le garage et le fusil qui n’attendait qu’un peu d’action. A dire vrai, j’étais le seul à courir. Ben, c’est l’éloge de la maigreur, je pense que même ses fringues pèsent plus lourd que lui, alors vu comment je tirais sur son avant bras, de loin je pense qu’on devait avoir l’allure d’un gosse en train de faire prendre l’air à son cerf-volant.

Bon. On a cavalé comme si on avait pire que le diable aux miches, et passé la porte à la vitesse du son. Derrière, j’ai entendu au martèlement sourd du plancher et au regain de violence des grognements que les deux affreux avaient eu l’idée de nous filer le train au pas de charge.

Couloir. Quatre enjambées. Deuxième porte droite. On s’est engouffré dans le garage. J’ai claqué la lourde et j’ai cherché fébrilement pendant quelque dixième de seconde un verrou que je n'avais jamais pris le temps de poser. Il m’a fallu un bref temps pour que mon cerveau se remette à tourner dans le bon sens et nous trouve un plan de rechange. Heureusement, j’entreposais quelques détritus à portée de main, le genre de truc dont on se dit que « ça pourra toujours servir » mais dans les faits, ça ne sert jamais...sauf là donc, mais honnêtement, j'aurais préféré que ça ne serve jamais.
Il y avait une vieille planche. Elle a fait l'affaire. J’ai placé une de ses extrémités fermement contre le haut de la poignée et calé l’autre contre une poutrelle du plafond. A peine ai-je eu le temps de l’installer que la porte se prenait le plus gros choc qu’elle ait jamais eu à endurer, pourtant j’ai été marié avec une femme plutôt colérique, mais rien à voir cependant avec ce que peut provoquer un tsunami humain composé d'environ 200 kilos de viande en décomposition et qui a benoitement décidé que, de porte, il n'y avait point.

Pendant un instant, j’ai vu le panneau d'aggloméré ployer et la planche se tordre dangereusement. J’ai eu peur qu’elle ne cède mais l’élasticité du bois a fait le reste, elle est revenue en position et a fermement maintenu l’issue fermée.

A défaut de mieux, on pouvait au moins souffler de ne plus voir leur sale gueule. C’est à ce moment que j’ai réalisé que mon cœur tentait de sortir de la poitrine pour m’exprimer tout son embarras. Voyez, je n’ai plus exactement le physique d’un marathonien et ce court mais intense sprint avait soudainement mis en lumière bien vingt ans d’indigence sportive et d’excès gastronomiques en tout genre, pour finalement rappeler de la plus brutale des manières à mon corps défendant que les antécédents familiaux en matière de pathologies cardiaques, ce n’était pas juste un mot pour faire savant dans les dossiers du toubib.

Tandis que ça tambourinait et vociférait à la porte au moins autant que dans ma cage thoracique, j’ai soufflé longuement les mains en appuis sur les genoux, en tentant de calmer les tessons de verres qui dansaient la polka dans mes ventricules. J’étais pour l’heure, bien plus occupé à ralentir le rythme de mon palpitant qu’à regler le cas de nos agresseurs. Fallait gerer les priorités. Se découvrir cardiaque à deux pas de la tombe, j’aurais rigolé de bon coeur de l'ironie, mais précisement, je pouvais pas, vu que mon cœur était occupé à flancher misérablement. Je me jurais mentalement de passer un check-up complet si on se sortait de ce merdier.

Lentement, j'ai repris mon souffle et les battements sont revenus à la normale. Ben, voyant sans doute que je passais un moment difficile, se contenait depuis quelques temps. Sobrement, j’ai dit « ça va. » Alors, comme si je lui en avais donné l’accord tacite, il s’est mis à extérioriser un peu ses angoisses, en hurlant. Il m’a saisi par les bras et honnêtement j’ai été étonné qu’un être aussi frêle puisse avoir une telle poigne. « C’est des macchabés, des putains de macchabés qui marchent et qui veulent nous buter ! T’as vu ça Otto ? Tu l’as vu comme moi ! Des morts qui se sont levés de leur tombe, et qui marchent ! Le révérend il en a déjà parlé, c’est l’apoplexypse, Ils reviennent à la vie pour punir les vivants, c’est la fin des temps, la Fin des Temps ! Putain de merde ! »

L'heure était grave, il venait de dire plus de mots dans les cinq dernières secondes que depuis le début de l'année.

J’ai dit à Ben que que d’abord on disait "Apocalypse", que ces bondieuseries, j’y croyais pas du tout, et qu’ensuite, normalement les morts, on les enterre en costard et pas avec un putain de tee-shirt des redhawks. J’ai dit que ça devait être autre chose, une maladie, un virus, une de ces saloperies colportées par les moustiques ou les mouches et qui nous venaient toujours, comme toutes les calamités, de l’étranger. Jamais un moustique américain ne nous ferait un coup pareil. Ici, même les mouches à merde avaient une dignité.

« Virus ou pas, on peut pas tuer les morts, Otto ! Alors qu’est ce qu’on va faire ? »

J’ai repris du poil de la bête, et même plusieurs fois d’affilé. J’ai dit qu’il y en avait marre de ces conneries. « je connais rien qu’une balle entre les deux yeux peut pas tuer » j’ai ajouté. Sur le coup, j’étais fier de moi. Ça avait de la gueule de balancer une phrase comme ça, mais Ben était bien trop occupé à se lamenter sur notre sort pour relever la pertinence de mes propos.

C’était le moment de leur de rendre un peu de monnaie à ces résidus de fosse commune. Ben, il a acquiescé, enfin, en tout cas, il a pas contesté. Je lui ai dit que ça allait maintenant, que je maitrisais la situation. Je sais que le petit Jesus n’aime pas les mensonges mais c’était pour la bonne cause.

Je me suis tourné vers l’établi, et j’ai pris le fusil, ouvert sa culasse, constaté l’état impeccable du fut vide que j’avais minutieusement nettoyé la veille. J’ai vérifié par deux fois le bon fonctionnement de la gâchette. Pas même un grincement n’était à déplorer, graissage parfait. J’ai refermé. J’ai dit « bien ». J’ai souri, puis mes jambes m’ont lâché et je me suis retrouvé genoux à terre en réalisant que les cartouches se trouvaient sous le bar, à l’endroit où je range d’ordinaire le fusil. Un certain dépit a du se lire sur mon visage l’espace d’un instant. Depuis le début de la partie, ça faisait 2 à 0 pour la fatalité. Je commençais à être salement mené au score.

- Quoi ? m’a dit Ben

- Rien, j’ai répondu, juste que les cartouches sont restées là bas, sous le zinc.

- Oh, a rétorqué Ben

Et puis il s’est effondré d’un coup, recroquevillé en position fœtale sur le sol et il s’est mis à geindre et pleurer comme un gosse. On aurait pu faire du surf dans ses canaux lacrymaux

La situation était grave mais pas désespérée. Au rang des mauvaises nouvelles, deux bonhommes dont Max la montagne de muscle tentaient de faire des confettis avec la porte et, à l'aune des craquements sinistres que j’entendais, elle n’était pas loin de se ranger à leurs arguments. L’odeur violente émanant des deux charognes qui s’agitaient, s’insinuait insidieusement dans la pièce, ajoutant au morbide de la situation.

On avait donc pour nous le fusil, et c’est à peu près tout. On ne pouvait pas compter sur mon pick-up Toyota qui trônait au milieu du garage. Il n’avait pas vu l’asphalte depuis bien six mois au moins et en ces temps là une batterie de rechange de chez Texaco, c’était au delà des moyens financiers d’un débitant de boisson frappé par la crise. J’ai envisagé qu’on se carapate par la grande porte arrière mais au moment ou j’ai eu cette riche idée, la planche a lâchement profité que j’ai les idées ailleurs pour mollement tomber au sol. Un coup porté plus violent que les autres l’avait fait se déporter de son encoche sur la poignée. La fraction de seconde d’après, la porte s’ouvrait à la volée et deux cadavres ambulants pénétraient dans la pièce en vociférant. Comme j’étais le plus proche et que Ben rampait déjà sous la bagnole, ils se sont jetés sur moi.

Le premier devait le regretter aussitôt, quoique je pense que ses facultés intellectuelles ne lui permettaient déjà plus de regretter quoi que ce soit depuis très longtemps. Le coup est parti tout seul, sans que j’ordonne quoi que ce soit et mon poing est allé littéralement pulvériser le crane de cet enfoiré. J’ai traversé sa tête comme un parpaing lâché sur une pastèque trop mure. Normalement, ça ne fait pas ça, je veux dire, avec une personne normale, vous ne pouvez pas faire ça, à moins d’avoir un Tyson au bout de chaque doigt mais lui, il était tellement pourri, faisandé, que de ce seul coup de poing en pleine face, je lui ai arraché la tête du cou. Elle est tombée au sol dans la grâce et la beauté naturelle de la bouse fraichement éjectée du cul de la vache. Là, le type à cessé de bouger, son corps est tombé à la renverse. Il était mort et cette fois-ci c’était pour toujours.

C’était la chose la plus dégueulasse et traumatisante que j’ai jamais pu faire je pense, mais j’ai même pas eu le temps d’en devenir fou dingue, vu que anciennement-celui-qui-était-Max, n’a pas attendu que je me remette de mes états d’âmes. Il m’a bondi dessus. Je n’étais évidemment pas de taille, je suis tombé au sol emporté par son poids d’ane mort. J’ai pu le saisir au cou avant qu’il ne m’assomme de toute sa masse. On est resté là comme deux cons, enfin comme un con qui se serait débattu avec une sorte d’ours géant qui aurait été gratifié d’un très mauvais caractère par Dame Nature. Il était allongé sur moi, je pouvais à peine respirer. Il tenait sa bouche béante juste au dessus de mon visage en claquant ses mâchoires. Il essayait de me mordre. C’est là que j’ai compris que leur trip, c’était de nous bouffer, c’est ça qu’ils cherchaient. Moi, je poussais sur son menton pour l’éloigner mais, tout «apocalypsé » qu’il était, ce connard avait encore la force d’un bœuf, je n’arrivais pas à bouger sa masse. J’ai serré sa gorge du plus fort que je pouvais en tentant de le tenir éloignée de ma figure, mais ça ne servait à rien. Il ne respirait pas. Et pendant ce temps, je hurlais à Ben de faire quelque chose, mais la pauvre petite chose était terrorisée sous la bagnole. Au bout de quelques secondes, il a toutefois daigné sortir de son trou, mais ce fumier n’a rien trouvé de mieux à faire que de décamper illico me laissant avec ce sac à viande agressif planté sur le bide.

« Trou du cul » j’ai hurlé « Putain de salaud ! Lâche ! Traitre ! T’avises pas de remettre les pieds dans mon bar, enfoiré ! » j’ai hurlé, de la colère plein la bouche, enrichie à l’énergie du désespoir.

Dans un dernier élan, j’ai collé mes phalanges serrées sur les points de compression des artères jugulaires du colosse, pour tenter de le faire tomber dans les pommes, Couper l’irrigation du cerveau, c’est un truc de beret vert. N’importe qui de normalement constitué doit tomber dans les vaps dans les cinq secondes, je m’y suis accroché une minute sans le moindre effet. Sa pompe était aussi inutile que ses poumons visiblement. Bien que je sois pas légiste, j’ai vu assez de gens se faire dessouder pour pouvoir affirmer qu’il donnait les signes cliniques typiques du mec mort depuis longtemps. C’est juste que son comportement n’était pas du tout adapté à la situation. J’aurais bien voulu lui expliquer que ce n’était pas possible, qu’il devrait être mort et qu’un mort ça ne peut pas bouger et s’agiter comme il le faisait, et tenter de me bouffer, mais il n’avait pas l’air d’humeur à entamer une discussion philosophique sur le non-sens et l’absurdité de son comportement.

Voilà, j’allais sans doute y passer maintenant. J’avais de plus en plus de mal à supporter son poids de pachyderme. Sa mâchoire claquait à chaque fois un peu plus près de mon nez, de mes yeux, et ce n’était qu’une question de secondes avant que je lâche prise pour de bon et qu’il me bouffe comme un putain de coyote mâchant sa charogne.

On dit qu’on revoit sa vie défiler devant ses yeux avant d’y passer. Vu le peu d’intérêt qu’elle représente, la mienne, j’aurais encore été du genre à changer de chaine ou a aller pisser sans mettre sur pause. Voyez. Sauf que là, j’ai rien vu de tout ça : Ma naissance, mon mariage, Jess, les classes, l’afgha, le retour, le rachat du rade, non, rien. Il s’est rien passé. Tout ce que je vu, c’est la Mort. C’était la mort de face, mais sous son plus mauvais profil, belle ironie. La Mort, elle avait comme masque la gueule ravagée de Max, son haleine à faire peur à un vautour, ses yeux jaunes à la surface craquelée, et le teint verdâtre et cireux de sa peau en décomposition. Je me suis demandé si c’était le moment de recommander mon âme à Dieu. Mes cours de catéchèses remontaient à trop d’années en arrière pour que je puisse ne serait-ce qu’esquisser le début d’une prière. Alors je me suis décidé à en finir. Tôt ou tard, je devrais lâcher de toute façon, autant que je prenne les devants. J’ai pris une grande inspiration, et j’ai relâché les muscles de mes bras.

L’énorme explosion qui a suivi m’a fait perdre définitivement l’ouie de mon oreille gauche. La tete de Max venait de sa vaporiser en une boule de sang, de viscères et de petits bout d’os qui m'ont instantanément recouvert le visage et le torse.

Totalement dans le gaz, je trouvais un regain de force insoupçonné pour soulever le cadavre sans tête de la bête, désormais complètement inerte.

Ben se tenait là debout, tremblant, mon fusil fumant entre les mains. Ce con n’avait pas fui, il était allé chercher les cartouches que j’avais laissés sous le comptoir et venait de tirer à bout portant sur la tête de Max.

La suite présente moins d’intérêt. La fête s’est arrêtée là. Comme vous pouvez le voir, nous nous en sommes tirés lui et moi. On a trouvé une bagnole en état de marche sur la route, puis filé vers le sud en slalomant entre les carcasses et tous les autres agressifs du même genre qui se ramenaient dans le coin. On a tracé notre route quelques semaines en survivant du mieux qu’on pouvait et se demandant ce qu’on allait devenir. On a fini par tomber sur une communauté un peu mieux organisée que nous. Ils nous ont expliqué ce qu’il savait de la pandémie, la contagion, on a raconté notre histoire et puis on s’est battu tous ensemble pour défendre le peu qu’il restait de notre civilisation quand on a compris que le problème s’était répandu bien au delà des frontières de l’état , du pays et du continent. Tout cela est derrière nous maintenant. Vous vouliez l’histoire de notre premier contact et du breakout de Tulsa pour vos chroniques, vous l’avez eu. Le gros de l’orage est passé, on est en train de reconstruire ce qui a été notre nation même si on est bien peu à avoir trouvé la rédemption ici bas. Ecoutez moi, « rédemption », putain, voilà que je parle comme un pasteur à présent. Merde. Ça nous a tous traumatisé d’une façon ou d’une autre, hein ? Je vais peut être devenir un homme de Dieu maintenant, qui sait ?

Vous savez, le truc qui m’a le plus marqué cette soirée là. C’est quand on est sorti dehors. Ben venait de shooter Max en pleine poire. Je me suis relevé péniblement, j’ai dit merci à Ben, mais je ne me suis même pas entendu lui dire. Ben ouvrait et fermait la bouche et faisait de grands gestes au ralenti. Moi, je comprenais que dalle, j’avais un sifflement insupportable dans la tête. A l’armée on appelle ça « l’effet blast », ça arrive quand vous vous faites bousculer un peu violemment par le souffle d’une explosion. Faut un moment avant de reprendre ses esprits. Je me suis approché du lavabo de l’atelier, j’ai regardé ma tête dans le petit miroir fendu. Je me suis demandé l’espace d’un instant, si je n’étais pas devenu comme eux. J’ai ouvert le robinet, l’eau s’est mise à couler lentement, je me suis rincé le visage plusieurs fois. Puis j’ai enfin aperçu mes traits normaux, ma peau pâle et mon nez couperosé. Le temps s’est accéléré assez pour revenir à un tempo normal. Ben m’a secoué, il m’a fait signe de le suivre, c’est fou comme un fusil dans les mains vous transfigure un bonhomme. Il a ouvert la grande porte métallique du garage en cognant sur le bouton. Le rideau s’est levé, et on est sorti dans la nuit tiède. Le souffle de la brise m’a fait du bien. J’ai levé les yeux, et j’ai vu l’étendue de la désolation.

Le ciel était rouge. La ville toute entière devait cramer pour illuminer le ciel pareillement malgré la distance qui nous séparait des premiers faubourgs. C’est là que j’ai compris que les deux spécimens qu’on avait rencontrés n’étaient de loin pas les seuls, que pour foutre un bordel pareil, il devait s'être monté toute une équipe de ces joyeux drilles et qu’on aurait sans doute fort à faire dans les jours qui allaient suivre. Il y avait des cendres incandescentes qui retombaient partout autour de nous et l’air était suffocant, une sale odeur de plastique brulé. Le panorama donnait tout comme l’impression que l’enfer venait d’ouvrir une succursale dans le coin et que c’était la grande journée d’ouverture. Il fallait se rendre à l’évidence, ouais, ces putains de zombies avaient vraiment réussi à mettre le feu au désert.

3 commentaires:

  1. bon ben j'en suis sur le cul.
    comme je t'ai dit (à mots couverts, pour pas que tu te méprennes sur mes intentions) : un écrivain est né.

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  2. Je viens de naître ? Manière polie de me dire que je remplis des couches de merde, c'est ça ? Hein ? J'ai bien saisi le message, t'en fais pas !
    Tu déraisonnes l'ami. Mais ton message me va droit au coeur quand même.

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  3. Je te kiffe.

    Bises, see you.

    Sylphide etc.

    (lolilol tête de chien)

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C'est là qu'on laisse son petit commentaire, une seule règle : être poli. Oh pi non, on s'en fout !