vendredi 1 avril 2011

Le Dernier Client - Episode 5

On s'approche de la fin si toutefois le temps et windows le permettent. Petit message d'interêt public : Pensez à faire des backups de vos textes les enfants !

C’est Ben qui a réagi en premier, il m’a aboyé dessus. « Plante-le ! Plante ce fumier, bordel ! Il nous en veut ! » Ça m’a aidé à reprendre un semblant de contrôle des mes jambes qui dansaient le charleston sous moi sans même avoir besoin de l’accompagnement musical.

Je me suis accroupi sans quitter le type des yeux et j’ai farfouillé sous le zinc pour en extirper la taulière. Jessica. Les habitués la connaissent sous ce nom là, et les plus intimes, ceux qui ont eu le malheur de la rencontrer en tête à tête avant de prendre un aller simple pour le parquet ont eu parfois le temps d’entendre son surnom : la daronne.

Elle est fidèle, dure, intransigeante et impitoyable, ouaip, une vraie femme ma Jess. Un kilo deux cent de frêne américain, sec, dense et noueux à cœur. Une batte de base-ball, on pourrait en faire l’emblème de ce putain de pays, c’est au moins l’emblème de mon rade. Pas un gars à cinquante miles à la ronde qui n’en ait pas entendu parler. Elle n’a jamais vu un stade pourtant, ni même touché au cuir d’une balle mais pour ce qui est de frapper, oui, elle a frappé, cassé quelques mâchoires et brisé quelques rotules. La maitresse rêvée pour tout tenancier de bistrot digne de ce nom.

Ça fait longtemps qu’elle est à mes cotés. J’ai eu une jeunesse pour le moins, disons, tumultueuse. Désœuvré, laissé à moi-même, j’ai fait la connaissance de gens pas vraiment fréquentables, du mauvais coté de la morale chrétienne, celle qui dit qu’on est tous frères. Mais les basanés l’étaient bien moins que nous autres.

Ils avaient les cheveux aussi courts que les idées et ça tombait bien parce qu’en ce temps là, réfléchir, c’était pas mon fort. J’étais influençable, je me suis laissé aller dans ces conneries de white power …On cherchait la bagarre et plus si affinité avec tout ce qui avait une tête qui nous revenait pas. Autant dire que dans le coin où on vivait, on était sans arrêt sur notre trente-et-un. Je garde de cette époque minable quelques cicatrices et tatouages que j’éviterais d’exhiber à une bar-mitsvah si vous voyez ce que je veux dire. J’en suis pas fier mais je ne renie pas la vie que j’ai eu. On dit qu’on apprend de ses erreurs après tout. J’ai sans doute appris beaucoup plus que les autres, alors.

Un jour que j’allais définitivement tourner honte de la famille, un juge m’a laissé le choix entre la taule et l’armée. J’ai fait le bon choix, ou le mauvais, c’est vous qui voyez. J’ai signé et fait mon sac pour Camp Pendleton. L’armée m’a sorti de ce pétrin et m’a rapidement montré le sens des vrais valeurs, que l’important c’est pas la couleur de peau mais de drapeau. Après tout, nous autres, on est tous né sous la bannière, hein ? Et du bon coté de la pompe à pétrole, bien sûr. On m’a appris à réserver ma haine uniquement pour ceux qui osaient contester l’ordre des choses. Je ne suis pas aigri, je vous l’ai dit, je suis un vrai patriote mais c’est juste qu’avec l’âge on devient moins idéaliste et on se rend compte que les choses ne sont ni blanches ni noires. Juste marrons.

Jess a traversé toute cette époque de ma vie à mes cotés, sans me juger, belle, sensible et généreuse, fidèle comme le vieux chien du home; et elle m’a tiré de pas mal de coup foireux, alors je l’ai gardé. Appelez ça de la superstition, du fétichisme, un symbole, je m’en fous, c’est ma Jess quoi. Rien que de la voir, ça suffisait en général à calmer les ardeurs des plus hargneux et à me rassurer. Je l’aimais. Ça m'a fendu le cœur de la perdre par ma maladresse.

Alors une fois encore j’ai saisi Jess, elle avait maté des gars encore plus exigeants que mon hôte. Un coup de batte dans la poire quand on cherche à vous lacérer le visage, moi j’appelle ça de la riposte graduée, la réponse m’a semblée appropriée. Je l’ai prise comme le font les joueurs de ligue, en évitant soigneusement de faire se chevaucher les mains. Je me suis mis en position de frappe et, très sûr de moi, je m’y suis repris à quatre fois pour lancer un ultimatum au type. Le problème étant que les mots n’arrivaient pas à passer la glotte. Ils avaient qu’une envie, se barrer à l’autre bout de mon estomac. Pour finir, j’ai quand même réussi à lui dire ceci.

« Dernier avertissement ! Ou tu consommes ou j’éclate l’espèce de cul mal torché qui te sert de tête ! »

Avec le recul je me suis rendu compte du stupide de la proposition Je m’attendais peut être à ce que le gars s’arrête de brailler et me sorte un : « Oh, ok…alors je vais prendre un daïkiri et une part de votre cheesecake recette Philadelphia dont une amie m’a dit le plus grand bien» avec le petit doigt en l’’air…

Remarque, j’aurais été embêté, je sais même pas ce qu’est un daïkiri et le dernière pâtisserie que j’ai tenté de cuisiner m’a valu un procès pour concurrence déloyale de la part de l’industrie du ciment. Notre bonhomme, j’aurais pu lui réciter l’alphabet coréen sur un air de bossa, ça l’aurait peut être plus effrayé. Y’avait rien à en tirer, il continuait désespérément à brasser le vent de ces doigts sales, à tenter de nous attraper. Il n’avait pas l’air de percuter que j’étais à deux doigts de lui faire tomber le ciel sur le coin de la gueule.

Je me suis approché doucement et calmement, j’ai pris soin de viser et puis j’ai frappé le plus beau home-run de toute ma brève carrière de joueur pro. Une pêche colossale mais qui n’a pas donné le résultat escompté. Le type a du se reculer au dernier moment, dans un de ses soubresauts incontrôlés, vu qu’il gesticulait autant qu’un politicien véreux qu’on aurait pris la main dans la call-girl. Alors Jess est allé percuter de plein fouet ce qui restait de son menton. On peut dire que j’ai fini le travail en beauté. Toute sa mâchoire est partie sans laisser d’adresse pour percuter le mur du fond dans un « splotch » retentissant, comme un fruit pourri qu’on écrase du pied. Une odeur de putréfaction intense est venue nous saisir et on a pu alors admirer la planche d’anatomie vivante que constituait ce phénomène. Depuis l’intérieur béant de sa bouche, on voyait sa langue verdâtre s’agiter en tout sens, et l’extrémité de son œsophage qui descendait dans ses profondeurs décharnées.

Mais ce salaud là, ça ne l’a même pas dérangé. J’ai vu mon ex-épouse avoir plus mal que ça quand elle se faisait sauter les points noirs. Avec un pareil coup, n’importe qui de normalement constitué aurait déjà du être au purgatoire en train de vérifier son casier avant de monter voir Saint Pierre la conscience tranquille. Mais pas lui. C’est comme s'il n’avait même pas remarqué que je venais de lui fracasser la dentition. J’aurais pu lui cracher une boulette de papier mâché en plein tronche, c’était pareil. En plus de la terreur qui m'étraignait, j’en ai également conçu comme une certaine vexation parce que quand même, j’y avais mis du cœur.

Ben, une fois encore, m’a fait réagir en me secouant comme un prunier « Mais bordel, qu’est ce que tu glandes ? Frappe le ! »

Sans sommation, j’ai armé de nouveau et j’ai frappé en visant au niveau de l’épaule cette fois. Ces bras malingres ont amorti le choc dans un craquement d’os tellement sonore que je me suis demandé si ce n’était pas Jess qui venait de rendre l’âme. La violence du coup m’a fait lâcher la hampe et ma batte a fini sa course dans un grand fracas de boiserie, propulsée dans les chaises de la salle. Je venais de faire à mon invité une superbe double fracture si j’en jugeais l’angle surprenant que prenait maintenant son bras. Mais ce connard continuait à me narguer de toute son insensibilité. C’était un cauchemar.

Là, j’ai du admettre que j’étais à court d’idée. Ben intervint une fois encore avec l’énergie du désespoir. « Ton fusil Otto ! Sors-le ! Plombe ce fils de rien ! T’as un fusil, hein ? »

L’idée était brillante. Mais non, je n’avais pas de fusil.

Enfin…si, bien sûr que j’ai un fusil. N’importe quel tenancier de bar américain, Dieu bénisse ce putain de pays, a un fusil sous son comptoir, faudrait être fou pour ne pas planquer près de soi un bon vieux 12 gauge à pompe des familles. Alors oui, il y a un fusil sous mon comptoir.

D’ordinaire.

Mais pas là, pas à ce moment là.

Où il était mon fusil, me direz-vous ? Pas bien loin, à environ quarante pas de où nous nous tenions. Il suffisait de prendre la porte de derrière le bar, de tourner directement à gauche, puis de prendre la deuxième porte à droite dans le couloir et d’arriver dans le garage, où mon fusil se trouvait, à sa place, sur l’établi. Précisément à l’endroit où je l’avais laissé la veille au soir, après lui avoir fait son petit toilettage annuel. Et ce matin là, j’avais simplement omis de le remettre à sa place. Tu parles d’une guigne. Le chemin pour parvenir à l'arme était simple, mais le parcourir avec notre agressif aux basques representait un tout autre challenge.

J’ai dit à Ben où se trouvait le fusil. Ces yeux se sont mis à exprimer des tas de sentiments, je suis pas un expert, mais j’ai d’abord reconnu la peur, sûr de sûr et puis l’envie de meurtre aussi. Mais il a pas eu le temps de m’insulter, parce que la cloche de l’entrée a retenti de nouveau et l’a coupé dans son élan. L’espace d’un instant, un vent d'espoir s'est mis à souffler. Je priais pour que ce soit un flic, un paysan, n’importe qui, quelqu’un avec une énorme pétoire, même un braqueur. Et puis je l’ai reconnu avec sa grosse tête ronde et ses longs cheveux frisés. La providence venait d’entrer sans essuyer ses immenses pieds. Ce n’était que Max, certes, mais quand il s’agit du gros Max Brooks, difficile d’être réducteur. C’était une bénédiction qui s’avançait dans mon antre. Max habitait au dessus de la highway, c’était un colosse, une force de la nature. Ancien garçon-boucher, ancien bucheron, ancien troisième ligne de foot, Max était l'ancien de tout ce qui demandait de près ou de loin d’avoir des troncs d’arbres à la place des bras. Vu sa carapace, il n’était jamais venu à l’idée d’un quelconque employeur de compter sur la présence d’esprit du garçon plus que sur ses muscles. Pourtant c’était loin d’être un con, Max, de ce que je pouvais en juger. Il ne parlait pas beaucoup, peut être moins que Ben, rien que ça c’était une preuve de sagesse. Quand vous entendez à longueur de journée plus de conneries que des oreilles normalement constituées peuvent supporter, forcément quelqu’un qui a le bon gout de fermer un peu sa gueule, vous le tenez en haute estime, et il passe vite pour un philosophe. Mieux vaut se taire et passer pour un idiot que parler et dissiper les doutes, pas vrai ?

Il ne parlait pas beaucoup, mais il buvait par contre, ceci explique peut être cela. Parler c’était du temps de pris sur la boisson. Alors ça en faisait le client idéal, quoiqu’il ne venait plus chez moi depuis un moment déjà. Là, on pouvait dire qu’il arrivait à point nommé dans le débat. J’ai ouvert la bouche pour lui chanter le psaume d’accueil « Max, par ici, On a besoin d’aide ! Dérouille ce connard ! »

Il s’est retourné dans notre direction et j’ai compris dans la seconde qui suivit que le vent d'espoir venait de tourner au Barber*. La situation était salement en train de se compliquer pour nous. J’ai assisté à la réaction de « plus tout à fait Max », j’ai entendu un sourd grognement monter de sa gorge et j’ai vu à sa dégaine désarticulée se pointant dans notre direction, à sa façon de marcher comme si le sol était en mousse et à son regard glauque que désormais lui et nous ne jouions plus dans la même équipe. Il venait de toute évidence prêter main forte à son nouveau petit copain à la gueule cassée.

Pour être honnête, l’énorme trou qui ornait sa poitrine, causé vraisemblablement par une arme à feu de gros calibre, et qui laissait voir une bonne partie de ses organes internes en déliquescence m’avait également mis la puce à l’oreille sur ses intentions…

A suivre...

*le Barber est un vent d'Est, violent et froid.

7 commentaires:

  1. Je sais, de source sûre, que "cette amie" ne lève jamais le petit doigt en l'air dès lors qu'elle exprime un contentement, quel qu'il soit.
    Un peu comme ta bite, ouais. Enfin, je ne me prononce pas.

    Quoiqu'il, ça envoie bien bien bien cette nouvelle ;)

    Sonia.

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  2. il y a encore du boulot...

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  3. @Sonia, je ne vois même pas de quoi tu parles :o
    @anonyme n°2, le boulot ne manque jamais, juste le temps.

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  4. elle me plait de plus en plus, cette histoire de marionnettes !

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  5. Et attend le chute finale, quand on apprend qu'ils tombent par terre et du coup ça fait une chute mais au sens premier du terme, ça fait un truc genre hyper ironique et plein de second degré super fin.

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  6. Ah, sympa, ils peuvent faire une belote maintenant... qui fera le dix de der ? Quel suspense, quelle tension !

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  7. Je sais pas, mais on va tâcher d'emmener le petit au bout en tout cas =)

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