vendredi 9 septembre 2011

Insuffisant

Yop, de retour après une trèèèèèèèèèèès longue absence cause plein de trucs à faire moins important que d'écrire, mais je vais tâcher de m'y remettre un peu. Je vous fais part d'une bonne nouvelle (hahaha), j'ai plus ou moins été primé à un concours de nouvelle auquel j'ai participé il y a des lustres. Selectionné dans la catégorie "coup de coeur du jury", le thême imposé était "le rouge" et c'était organisé par la médiathèque de la petite ville de Trets, vers Marseille. Vlà la bête, à vous de juger si ça mérite.

C'est pas moi. C'est pas ma faute.

Je le dirai à ma mère d'abord que c'est à cause de toi, que moi je n'ai pas copié et que tout ce rouge sur mon cahier, c'est pour toi. Je lui dirai. Et ma mère, elle n'est pas commode, je te ferais dire. Il y a des tas de meubles comme ça qu'elle n'est pas, ma mère. Et commode est franchement un de ceux qu'elle est le moins, ça c'est sûr.

Mon père, il dit que la mère, pourtant, dans le genre meuble, elle se pose là, et qu'elle n'en bouge plus. Elle est rentrée dans sa vie et dans sa maison, elle s'est assise et c'est tout, il n'y a rien à en dire de plus.

Mais quand même il en redit de plus parce que le père il aime bien à redire sur la mère alors il dit aussi qu'elle est réglée comme une horloge dont on n'aurait pas remonté les pendules depuis un moment. Du coup, c'est un peu toujours le passage à l'heurt d'hiver entre ma mère et mon père.

Mon père, lui par contre, c'est bien un meuble, c'est ce que dit ma mère. Il est lourd, il est épais, et il est de l'arbre dont on fait les gueules de bois. Elle dit même que c'est une armoire à glace, et elle ajoute à glace italienne qu'aurait coulée tout le long du cornet, parce que c'est l'effet que ça donne quand on le regarde de travers. Elle dit que s'il va se baigner, il ne craint pas de se noyer, parce qu'on n'a jamais vu un tonneau prendre l'eau, surtout si le tonneau est déjà plein comme une barrique. Elle dit que le bois flotte de toute façon, mais pourtant le père il en boit pas souvent de la flotte.

Elle dit qu'il est comme ça parce qu'il a toujours dansé trop près du buffet et ce dès leur mariage. Et elle rigole en disant ça, avant de se mettre à pleurer qu'elle aurait dû écouter sa mère, que son couple était une farce, que partager la couche d'un type comme ça, c'était de la lie conjugale. Mon père, il hausse les épaules et il dit qu'il vaut mieux faire banquette et dormir sur le canapé pendant qu'elle se calme. Je ne comprends rien à leurs histoires. A placer du mobilier partout dans leurs phrases, on dirait qu'ils cherchent à meubler la conversation.

Mais c'est vrai que c'est un peu à ça qu'il ressemble le paternel, un buffet campagnard. Sa religion compte deux saints, le saindoux et le Saint-Emilion. Il avait dû être musclé un jour le Pierrot, c'était son prénom, mais c'était avant qu'il se découvre une passion pour tout ce qui pouvait rentrer par la bouche. Et il avait remarqué que les liquides passaient encore plus facilement que la nourriture solide, il disait même que mâcher c'était une perte de dents.

Alors la mère elle disait que Pierre qui roulait, fin saoul, avait encore du amasser une drôle de mousse. Parce qu'il aimait bien ça aussi, la mousse, mon père, surtout le liquide qu'il y avait en dessous en fait. Parfois il m'en laissait boire un peu. Je n'aimais pas trop parce que c'était quand même drôlement amer et pas très bon finalement, sauf quand il mettait du sirop de grenadine dedans, mais c'était rare. La mousse me faisait toujours une fausse moustache sous le nez. Alors je courais me regarder dans le miroir publicitaire qui couvrait le mur du bistrot, ça me faisait bien rigoler et ça faisait aussi rigoler les autres clients et certains disaient que c'était pas malheureux de voir ça, que j'étais bien le fils de mon père, que je prenais le même chemin que lui et que je lui ressemblais. Mais je sais qu'ils disent des bêtises parce que mon père, il a même pas de moustache.

Mais change pas de sujet, ni de verbe ou de complément. C'est ta faute, si j'ai du rouge, et tu le sais, parce que moi j'avais pris soin de pas copier sur toi, justement parce que je sais que tu fais tout le temps tout faux, alors pour une fois, j'ai copié sur moi, pour changer et pour bien vous feinter, tous. J'attendais de mettre une réponse et puis, une fois sur la feuille, je recopiais le tout dans la ligne du dessous. Mais la maîtresse, j'ai bien vu qu'elle n'avait pas aimé, alors elle m'a mis du rouge et ça va encore faire toute une histoire de France à la maison et peut-être même que ça débordera sur d'autres pays, des tas d'autres pays, une vraie affaire des tas !

On n'aime pas les tricheurs à la maison. Alors c'est pour ça que je n'ai pas copié sur toi cette fois-ci. Mon père, quand il joue au tarot avec ses compagnons de débouche comme dit maman, parce qu'ils débouchent plus souvent des bouteilles que sur un compromis, et bien mon père, il dit qu'il n'aime pas trop ceux qui tentent de regarder le cul de la belle-mère.

Moi, comme j'écoutais pour essayer d'apprendre à jouer, je lui ai dit que mamie, elle n'était pas là et que ce n'était pas bien de parler d'elle comme ça. Mais c'est vrai que l'arrière-train de mamie, il occupe facilement la longueur du quai alors on pourrait en faire tout un roman de gare, forcément, et en deux tomes même, un pour chaque fesse.

Mon père il a rajouté comme ça qu'il comprenait mieux pour la culotte de cheval de ma mère. Mais maman elle ne fait pas d'équitation, je le sais bien, alors faut pas me raconter des blagues. Après mon père, il m'explique que voir le cul de la belle-mère, c'est regarder par dessous les cartes des autres à la distribution pour voir leur jeu. Ça donne des "indications de jeu" et c'est de la triche. Et il avait l'air très sérieux quand il a dit ça, alors j'ai compris qu'on parlait là de choses importantes. La triche, ça lui a jamais fait plaisir au paternel, parce qu'il y a perdu des tas d'argent, contre des gens mal intentionnés. A ceux là aujourd'hui, il leur rendrait bien la monnaie de leur pièce. Alors je comprends pas l'intérêt de donner des sous en plus à des gens qui vous en ont déjà volés. Mais il dit que je suis trop jeune pour comprendre et que je dois juste bien veiller à jamais tricher, parce que c'est pas du jeu.

Mais c'est de la triche aussi que toi tu m'aies copié dessus, parce que justement, comme je t'ai surpris en flagrant délit, j'ai voulu me venger de toutes les fois où tu m'avais laissé copier sur toi des choses fausses, et qui m'ont valu des tas et des tas de mauvaises notes, de quoi jouer faux toute une symphonie, un requiem aux cancres.

Alors j'ai fait faux comme de par exprès pour que tu recopies sans te méfier. Mais je n'ai pas pensé qu'en faisant ainsi, ça allait aussi me retomber dessus. La maîtresse, elle n'est pas tombée de la dernière pluie directement dans le panneau, parce qu'elle n'est pas idiote sinon elle ne serait pas maîtresse hein ? Tout ce que j'avais fait faux, elle l'a barré, raturé, crayonné au rouge, tu m'entends ? Et elle a écrit tout un paragraphe à l'attention des parents, au rouge aussi, au rouge encore. Elle a écrit dedans que j'étais aussi suffisant que mes résultats étaient insuffisants, que je me moquais du monde et, chose plus grave, d'elle-même. Et elle l'a écrit à l'encre rouge. C'est la couleur de la honte. Et elle m'a dit que je devais le faire signer par ma mère et mon père. Je ne peux pas le cacher ce rouge là.

Quand la mère elle va voir tout ce rouge sur mon carnet, elle va en faire une jaunisse. Mon père, il ne changera pas fondamentalement de couleur, je pense. Par contre, mon postérieur, lui, il risque de se colorer un peu, oui. Mais c'est rien ça, c'est rien tant que le père il n'enlèvera pas son ceinturon, tu vois ? Mais il l'enlèvera. Il l'enlève toujours parce qu'on dirait que c'est cogner qui le met en rage. Au début, il dit que ça lui fait plus mal à lui qu'à moi, alors j'ai de la peine pour lui parce que vu comme moi j'ai mal, je me dis que ça doit être un sacré supplice qu'il s'inflige et qu'il a du courage, alors moi j'ose pas trop me plaindre. Mais j'ai quand même un peu des doutes parce que je vois aussi le sourire mauvais qu'il a quand il fait ça.

Alors du postérieur, ça remonte dans le dos, je le vois sur le miroir après la séance et ça reste rouge plusieurs jours alors je m'en souviens bien. Et parfois, quand il a vraiment les abeilles, ça revient par devant sous forme de coups de poing, et c'est dans le blanc des yeux que je vois sa colère et ça vient sans crier gare, ou peut-être que ça crie gare mais on n’entend pas très bien, parce que c'est ma mère qui se met à crier à ce moment là. Elle crie pour qu'il arrête, elle crie qu'il va me tuer, la tuer, tous nous tuer. Moi je ne crie pas, je sais que ça ne sert à rien.

Alors après, c'est au tour de ma mère. C'est toujours comme ça, c'est dans l'ordre des choses. Moi je file dans ma chambre sans demander du rabiot parce que je l'ai déjà eu en fait et plusieurs fois. Et puis le nez, il finit toujours par arrêter de pleurer du rouge. Il faut mettre la tête en arrière et plus penser à rien. Quand je n'entends plus que les pleurs de ma mère, je sais que c'est fini. Pour cette fois.

Les maîtresses, elles aiment bien écrire en rouge, on dirait. C'est leur couleur préférée. Pourquoi c'est la couleur de la faute ? Au football, le carton rouge, c'est terrible. On te sort du terrain et tu peux même plus taper dans la balle, faut dire qu'en général si tu prends un carton rouge, c'est parce que tu tapais plus dans les autres joueurs que dans la balle alors finalement c'est peut être pas une mauvaise idée. Je me demande si un boxeur, il prend un carton rouge s'il tape dans un ballon au lieu de taper dans un bonhomme.

Mon père aussi il tape dans les ballons, les ballons de rouge surtout, justement. Et bien ça ne l'empêche pas de dire qu'en voiture, même un verre dans le nez, il conduit toujours mieux que ma mère parce que elle, c'est un vrai danger public, et même qu'on prendrait moins de risque à mettre une poule au volant parce que les poules au moins, elles font toujours bien attention à pas froisser leurs ailes.

Une fois, ma mère a grillé un feu rouge. Tiens, encore du rouge, comme par hasard, qu'est ce qu'ils ont tous à vouloir mettre en rouge tout ce qui est interdit ? Et puis, s'il est déjà bien rouge le feu, je ne vois pas comment on pourrait le griller encore plus. Bref…

Ma mère, elle dit que pour le feu, ce n'est pas sa faute, que c'est le soleil qui lui a grillé la priorité, qu'elle en parlerait à qui de droit, même si elle sait pas bien qui ça peut être mais elle trouvera quelqu'un pour en parler. Elle dit qu'une voiture venant en face lui a fait un appel d'essuie-glace qui l'a éblouie, que c'est pour ça qu'elle n'a pas vu le feu rouge qui était vert de toute façon, elle en est sûre, monsieur l'agent ! Mais le monsieur qui est agent, il lui dit qu'il ne veut rien savoir et que ce n'est pas lui qui fait le règlement.

Si moi je disais à la maitresse que je ne veux rien savoir, je prendrais encore une belle punition, je pense. Mais les policiers, ils ont le droit de rien savoir, eux. C'est pas juste. Mon père, il dit que c'est peut être à cause de ça qu'ils sont devenus policiers. Alors je me dis que finalement c'est peut être juste. Et je me demande à quel âge ils embauchent. Mon père il rajoute qu'ils ont déjà bien assez de débauchés pour ne pas avoir besoin d'embaucher et que je serais bien avisé de ne pas chercher à m'engager dans la police à moins de vouloir à tout prix ternir à tout jamais l'honneur de la famille. Je n'ai pas bien compris de quelle famille il parlait, Papa, vu qu'il m'avait toujours expliqué que l'honneur c'était la fierté des imbéciles. Et il en connaît un rayon sur les imbéciles du périmètre. Je lui ai demandé ce que ça voulait dire périmètre. Il m'a dit que c'était le quartier autour de chez nous, qu'il savait pas pourquoi il s'appelait comme ça précisément mais qu'une fois, ça lui avait valu une bagarre avec un autre gars d'un autre quartier qui avait dit comme ça que quand il était en colère il valait mieux évacuer le périmètre et plus vite que ça et du coup le père il avait demandé à ce qu'on laisse les voisins en dehors de l'histoire alors ils s'étaient battu et les voisins aussi. Et après ils avaient tous bu un coup et le bistrotier a dit qu'ils étaient tous complètement fous.

Mais je vois bien que t'essayes de me tirer les morceaux de verre du nez. Je le sais que ce n'est pas bien de copier. Tu vois, ma mère, mon père, ce ne sont peut être pas des parents modèles. Je le sais que mon père il boit jusqu'à ce qu'il soit plein, et qu'une fois plein, et bien il continue de boire. Je le sais que ma mère, elle ne fait qu'être teigneuse avec le père parce qu'il boit, et que lui il boit pour oublier qu'un jour, la teigne, il l'avait aimée. Et elle, elle reste parce qu'elle espère qu'un jour il se souviendra qu'il l'aime encore et qu'il l'exprimera autrement qu'en lui mettant des taloches. Mais jusqu'à preuve des confrères, je n'en ai pas d'autres des parents, alors en attendant, je leur dois le respect en échange de l'éducation que je reçois, qui vaut ce qu'elle vaut mais je n'en ai pas d'autre pour comparer.

Alors tu comprendras que ce rouge là, ce rouge qui remplit mes feuilles, on dirait presque qu'il coule entre les pages, il y en a assez pour brunir cent cahiers, de ce sang caillé, poisseux. Il me fait mal, parce que c'est ma vie, c'est mon sang qu'on me retire, sans mon accord, mineur, je sais. Je n'ai pas à donner d'autorisation, juste à recevoir, et mon Dieu, ce soir, je vais recevoir.

C'est mon sang sur ce mot. Bientôt sur ma figure. C'est ma correction. Et c'est pas juste, parce que c'était pas moi. C'était pas ma faute. Mais la maîtresse elle s'en fout de ça.


5 commentaires:

  1. C'est du lourd, du gros rouge qui tache !

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  2. Félicitations.
    $Je te l'avais dit, j'en étais sûre.
    Tu te souviens, l'autre jour, quand je te disais "putain t'as vu ce mois d'août de merde ? Ca n'a pas arrêté de pleuvoir... Ca fait chier quand même ce temps, il paraît qu'on n'a pas vu ça depuis 1937. Tu te rends compte 1937 ?!".
    Eh ben, comme tu l'as bien compris, ça voulait dire en sous-texte "tu devrais écrire pour des concours, tu gagnerais certainement".
    Tu vois, j'avais raison de t'inciter à le faire. Comme toujours, j'ai raison.

    Sonia.

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  3. @Walrus : Attention aux mélanges quand même.

    @Sonia : Ah oui, je me souviens quand tu as dit ça et effectivement du coup ça m'a vachement motivé pour qu'il fasse beau en septembre.

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  4. Oh ce coup de coeur du jury dans la gueule, dis !
    Je crois que je vais aller coller une rouste à ma gosse, du coup, tiens.
    Bien mérité, tout ça...

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  5. coup de coeur, ça ?
    coup de cul, oui !!

    (bien ouèj, même si ça méritait le premier prix en vrai)

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C'est là qu'on laisse son petit commentaire, une seule règle : être poli. Oh pi non, on s'en fout !